Letters from Exile: Ch. 3 & 4
Un journal intime devenu récit sur la mémoire, la langue, et l’étrangeté elle-même. A meditation on memory, language, and foreignness itself.
Hello from Paris!
It’s Thursday, which means new episodes in the continuation of my little feuilleton, Letters from Exile. For English, scroll down. Click here to see chapters 1 & 2.
Lettres d'exil: Extraits des carnets de Fally Dogswell
Un journal intime devenu récit sur la mémoire, la langue, et l’étrangeté elle-même.
3. Dans le labyrinthe
Après quatre ans à New York, nous sommes de retour à Paris. Je ne me souviens plus pourquoi. Il pleut. Il pleut tout le temps. L'arbre en face devient énorme. Il danse. Il tourne. Il fait le twist. Pendant que moi, j'attends. Nous avons fait un échange. Notre appart à New York pour le leur ici rue Daubenton. J'ai déjà cassé un bol, brûlé une casserole, et répandu les frites congelées partout.
Je suis mal à l'aise. Je ne suis pas vraiment rentrée dans la ville. Les pierres, les trottoirs ne sont plus à moi, me rejettent. Je trébuche sur les poussettes, me heurte contre les autres piétons. Suis couverte de bleus. J'entre dans une boutique de trucs bon marché, mais la propriétaire maghrébine et sa copine noire évitent de me regarder après un coup d'œil. Peut-être sont-elles déçues. Je suis trop vieille pour être une étudiante. Alors, je suis pauvre. Quelle honte. J'aurais dû mieux faire avec l’avantage de cette peau blanche.
Désolée, mesdames. Je fais honte à ma race, même ici, parmi les autres femmes adultes du quartier qui sont plus féminines, mieux habillées, mais souvent presque de style bonne sœur. La jupe simple, chemisier, pull. Seule l'écharpe les sauve du couvent. Les femmes du magasin me rappellent le New York des années quatre-vingt-dix et la clinique publique minable où les employées me remarquaient silencieusement chaque fois que j’y allais. La seule blanche dans la foule brunâtre et noire. Sois j'étais une ratée. Sois une escroc de quelque sorte. Et elles pianotaient sous des montagnes de paperasses avec leurs longues griffes vernies rouges et me criaient dessus quand j'essayais d'aller aux chiottes. « C’est celui des femmes! » Comme si j'avais été un homme. Un espion. Un monstre. Ces seins pas assez gros. Les jeans ambigus aussi.
Un jour je ne vais plus laver ma chatte, et la puanteur particulièrement femelle va me précéder comme un passeport chaque fois que j'ai besoin de faire pipi. Ouvre la porte ! Merde !
Si seulement je pouvais me rappeler pourquoi je suis revenue. Tous les souvenirs qui m'ont attiré, toutes ces années ici ont disparu. Pouf ! Rupture ! Ravissement ! Qu'est-ce que je fais maintenant ? Je ne peux même pas me rappeler l’histoire que je voulais te raconter, et dans quel but. De comprendre ? Peut-être invoquer le passé ? Retrouver un fil que je peux saisir ? Recoller les miettes de ma tête brisée ? Ou pourquoi pas mon cou ? Qu'est-ce que je donnerai, moi, pour une corde !
Elles ont raison—les femmes qui crient. Je suis capable de tout. Même du plus monstrueux. Non, je mens. La violence, d'habitude, je la garde pour moi-même. Je m'inflige les allées et venues. Les reproches.
Mais le fil. Du Temps.
Comment retrouver les bons bouts après quatre, cinq années ? Le Temps a poussé. Changé. Mais il y a sûrement une boucle quelque part qui dépasse de la surface. Je vais la chercher. J'étais, je suis, une journaliste. Et depuis... On verra.
4. Sacrées pierres !
Je vais commencer ici, dans cette cathédrale énorme et crasseuse — l’église Saint-Germain l'Auxerrois. Au moins, je me souviens d'elle. Devant, il y a un photographe et un couple asiatique dans leurs fringues de mariage. Comme ils sont sublimes ! Peut-être qu’ils sont mannequins. Peut-être de vrais amoureux prêts à consacrer leur ardeur. Probablement ils ignorent l'histoire du lieu. La cloche qu'ils ont fait sonner, sonner, sonner pour déclencher le massacre de mes ancêtres Huguenots. Ou peut-être les morts par milliers, donnent un peu de piquant à leur cérémonie.
Sais pas. Je viens ici pour réfléchir. Rien de surprenant, tu vois. S'asseoir et songer. Même dans les cimetières. Et ici, une fois, la Madone m'a parlé à moi. Je le jure. La Madone qui habite la chapelle d'à côté. J'étais en train de la regarder de derrière une espèce de grille sculptée. L'air sentait le vieux bois, l’encens, la poussière. Et soudainement... Bon, je garderai pour moi ce qu'elle m'a dit. Cette présence qui jaillissait dans ma tête. De toute façon, elle me parlait. La seule fois pendant toutes ces années qu'un dieu ou son semblable s'intéressait à moi. Jeune, je leur ai parlé, mais les conversations étaient un peu à sens unique, bien sûr. Comme avec les psys freudiens.
Quand même, je me sentais soulagée quand je priais. Connectée à l'univers. Au monde de l’Esprit. À cause de ça, je m'adressais à Dieu, et pas à Jésus. Question de chair. J'aimais pas les corps des mecs. Y compris celui des demi-dieux, avec leur masculinité si évidente. Pauvre Jésus presque nu en sa souffrance qui doit être cachée. Mon Dieu! Qu’est-ce qu'ils vont penser, les voisins ?
Dieu, lui, était le contraire. Omni- potent, présent. Mais aussi du genre vraiment Nul. Pas de corps, tu vois? Pas de stress sexuel donc. J'ai prié. J'ai senti une présence. C'est tout. J'étais complètement accro. Une vraie putain de mystique. Je l'ai aperçu, Dieu, partout. Dans les feuilles des arbres, les flocons de neige. Le froid. La chaleur. J'ai trainé dans l'église. Au sanctuaire vide. Je planais jusqu’à Dieu parmi les vieux coussins de couleur vin rouge.
D'autres fois, je suis allée à la crèche vide à l’étage. Il y avait un bac à sable, mais rempli de riz. Et avec mes mains dans les grains tellement lisses et frais, j'ai composé des sermons. Le goût de Dieu dans ma bouche. Les mots destinés à... Qui, vraiment ? Ma mère fragile et terrifiante ? Les multitudes éloignées de la joie et la paix du Dieu ? Je ne me souviens plus. Mais je me souviens que j'étais transformée. J'étais forte, directe, aussi sérieuse qu'un sabre de lumière. Pas du tout cette créature ridicule--une fille.
Letters from Exile: Excerpts from the notebooks of Fally Dogswell
A journal transformed into a meditation on memory, language, and foreignness itself.
3. In the Labyrinth
After four years in New York, we came back to Paris. I can’t remember why anymore. It rains. It rains all the time. The tree across the street is getting huge. It dances. It turns. It does the twist. While me, I wait. We did an exchange. Our apartment in New York for theirs here on rue Daubenton. I already broke a bowl, burnt a pot, and scattered frozen fries all over the floor.
I’m uncomfortable. I haven’t really re-entered the city. The stones, the sidewalks aren’t mine anymore, reject me. I bump against the baby carriages, bang against the other pedestrians. Am covered in bruises. I go into a discount shop, but the North African owner and her black friend turn their eyes away after a quick glance. Maybe they’re disappointed. I’m too old to be a student. So I must be poor. It’s shameful. I should have done better given the advantage of this white skin.
Sorry, ladies. I embarrass my race, even here, among the other adult women of the neighborhood that are more feminine, better dressed, though often in clothes full-on nun. Plain skirt, blouse, sweater. Only a scarf saves them from the convent. The store ladies take me back to New York in Nineties and the crappy public clinic where the employees used to silently remark me each time I went in. The only white among the black and brown crowd. Either I was a screw-up, or some kind of welfare cheat. And they’d drum on the mountains of paperwork with their long red polished nails and scream at me when I tried to go to the john. “That’s the women’s!” As if I were a man. A spy. A monster. These breasts too small. The jeans ambiguous, too.
One day, I’m gonna quit washing my cunt, and my particularly female stink will proceed me like a passport every time I have to piss. Open the door! Fuck!
If only I could remember why I came back. All the memories that drew me, all these years here, have disappeared. Poof! Crack! Rapture! What do I do now? I can’t even remember the story I was going to tell you, or why. To understand? Maybe invoke the past? Find a thread to grab? Collect the crumbs of my broken head? Or why not my neck? I’d give anything for a rope.
They’re right—the screaming women. I’m capable of anything. Even the most monstrous. No, I lie. Violence, I usually save for myself. Inflict comings and goings, reproaches.
But the thread. Of Time.
How to find the right end after four, five years? Time’s sprouted. Changed. But surely there’s a loop sticking up past the surface somewhere. I’m going to look for it. I was, I am, a journalist. And afterwards… We’ll see.
4. Damn stones!
I’ll start here, in this enormous crumbling cathedral—Saint-Germain l’Auxerrois. At least, I remember it. In front, there’s a photographer and an Asian couple all decked out for a wedding. Damn, they’re fine! Maybe they’re models. Maybe real love birds ready to consecrate their lust. Probably they don’t know the place’s history. The bell that they rang, rang, rang to unleash the massacre of my Huguenot ancestors. Or maybe the thousands of dead give their ceremony a tasty little edge.
Dunno. I come here to think. Nothing surprising in that, you know, Sitting and dreaming. Even in cemeteries. And here, once, the Madonna spoke to me. I swear. The Madonna who lives in the chapel on the side. I was looking at her from behind a kind of sculpted grill. The air smelled of old wood, incense, dust. And suddenly… Well, I’ll keep to myself what she said. This presence that sprang into my head. At any rate, she spoke. The only time in all these years that a god or their like took an interest in me. Young, I used to talk to them, but the conversations were all a little one-sided. Like with Freudian shrinks.
Still, I always felt better when I prayed. Connected to the Universe. To the world of Spirit. Because of that, I addressed myself to God, and not Jesus. A matter of flesh. I didn’t like male bodies. Even those of demi-gods with their blatant masculinity. Poor Jesus, practically nude in his suffering that should be hidden away. My God! What will the neighbors think?
God, as for Him, was the opposite. Omni- potent, present. But also a great big Nothing. No body, see? So no sexual tension. I prayed. I felt a presence. That’s all. I was totally hooked. A real fucking mystic. I saw God everywhere. In the leaves of trees, snowflakes. The cold. The heat. I hung out in the church. In the empty sanctuary. And floated up to God among the old wine red cushions.
Other times, I’d go to the nursery upstairs. There was a sandbox, but filled with rice. And running my hands through the smooth, cool grains, I’d compose sermons. The taste of God in my mouth. The words intended for… Who, really? My fragile, terrifying mother? The multitudes far from the joy and peace of God? I can’t recall anymore. I only remember I was transformed. I was strong, direct, as serious as a light saber. Not at all that ridiculous creature—a girl.