Letters from Exile: Ch 5 & 6
Le miracle. In which the Virgin speaks, but I don't.
Bilingue!
Helloooooo!
It’s Thursday, which means new episodes in the continuation of my little feuilleton, Letters from Exile. For English, scroll down. Click here to see chapters 1 & 2 3 & 4.
Lettres d'exil: Extraits des carnets de Fally Dogswell
Un journal intime devenu récit sur la mémoire, la langue, et l’étrangeté elle-même.
5. La Samaritaine
Bon dieu, comme je suis crevée. Pas toi ? Pas encore énervée par les phrases cassées et étranges ? Eh ben… j'entre lentement dans l'église. Pas besoin de courir comme avant. Il n'y a plus de filets autour des sculptures en face. Je suppose qu'elles ont été réparées. Les ailes des monstres stabilisées ainsi que les têtes des anges qui ont surveillé les humains pendant des siècles. Les bons et les mauvais. Les médiocres. Peu à peu ils perdent leur neutralité. Sont moins pierres qu'auparavant et croulent, même restaurées. Au moins, ce problème des chutes n'est pas le mien. Ni le choléra, ni la typhoïde, qu'on peut attraper de l'eau du bénitier. Elle est dégueulasse, cette eau. Bordée par des trucs vert-bruns. À part ça, l'église est plus ou moins la même que j'ai connu. Ouverte et tranquille. Fraîche. Même les touristes restent respectueux. Ne crient pas. Laissent entrer le silence par leur peau. Ce silence de quoi ? Du Dieu ? Ou peut-être du Temps ? Les musées sont pareils. Comme les prairies à la tombée de la nuit. Les bars vides à 15 heures sauf pour du blues diffusé par le juke-box.
Une fois, j'ai vu une femme entrer et se mettre à genoux devant un grand Jésus crucifié pas loin de l'entrée. Elle exposait ses semelles. À son côté, les sacs de la Samaritaine. Sa tête ne bougeait pas, était aussi immobile que celle du mec en bois qui avait ses propres soucis. Par exemple, les clous aux mains et aux pieds. Je l'ai vue avec de la curiosité et aussi de l'envie. Qu'est-ce qu’elle voulait au juste? Cette femme avec des bas parfaits, des chaussures à talons Manolo Blahniks ? Comment osait-elle demander pitié, de l’aide de cette figure piégée comme n'importe qui ? Exilée de tous mouvements, sauf de la décomposition ? Ces derniers temps, je préfère un dieu un peu plus disponible. Avec des moyens évidents. Des tridents, des éclairs. Au moins, une bonne bouteille de vin. On peut la boire, rire, rêver ou frapper quelqu'un avec. Elles sont sacrément solides ces bouteilles.
De toute façon, elle est partie soudainement, la femme des sacs Samaritaine. Pendant que moi, je suis restée presque seule (comme humaine) dans le bâtiment massif. Il était un grand Bouddha, présent et calme, serein. Sans aucune intention de bouger quoi que ce soit. The Cloisters, là-bas à New York, est beau, mais ne donne pas la même impression. Son esprit semble perturbé, divisé, probablement parce que ses pierres, ses pieds sont arrachés de plusieurs pays. Personne n'a demandé, vous voulez venir ou quoi, vous ? Préférez-vous rester ici, vous écrouler peu à peu ? Devenir poussière, boue de nouveau ? Rejoindre la terre après quelques siècles de séparation?
Tout le monde n'est pas censé être utile. Rester debout. Bouger. Même si on a entendu la voix de la Vierge dans sa tête. Même si la vache a dit, « Persévérez !»
6. Gros Mots
Je m’assieds à un café avec Marina. Au moins, il y a ça. Derrière nous, un groupe de femmes. Elles sont habituées du coin, prennent tant de plaisir dans leurs petites tasses de café et leurs conversations si lentes. Elles rient. Je comprends tout ce qu'elles disent. Je suis à mon aise—pour l'instant—là-bas au soleil. Entourée par ces chansons de sons humains. Je veux prendre la parole aussi, mais je n'ose pas ouvrir ma bouche. Qu’est-ce qui va en sortir ? Des braillements, des miaulements ? J'ai peur de dire des bêtises, d'être humiliée. Pour rester une étrangère, rester à l'étranger il faut être plus fort que tu ne penses. Même si tu ne fais pas de gaffe, t'es marquée, placée à part. Ton accent sortira. Ta mauvaise mine. Moi, qui voulais être perdue en Dieu, je me sens si grande, gonflée en fait, avec tes idées et ma propre peur.
Chez nous, je prends ce carnet, j'écris. C'est encore plus périlleux. J'approche cette langue, elle recule. Je l’approche, elle casse, laisse des brisures partout. Avant, elle était entière comme l'eau. Alors, pourquoi écrire avec ce marteau, couteau ? Je détruis, je découvre. Regarde ! J'arrive. Dans les endroits inattendus, inaccessibles dans l'anglais qui coule. Quelqu’une au moins arrive. Pas vraiment « je ». Qui fuit tout le temps. Laisse derrière elle une autre « je ». Un peu vide, sans histoire ou langue. Les souvenirs ne traversent pas d'une langue à l'autre. Pas question de traduire ces mots qui se retrouvent dans ce purgatoire humain, le mi-oubli.
Le pire cette fois-ci c'est ça. L'oubli. Les discontinuités. J'ai des trous énormes. Comme si ma tête avait été frappée par une matraque. Ou comme si j’étais tombée d’un mur. Souffrante des ruptures pas du tout prévues par Monsieur Platon et ses morceaux d'humains qu'ont déjà eu besoin l'un de l'autre pour redevenir des êtres circulaires, complets. De quoi sommes-nous constitués ? Et moi, même jumelée avec Marina, je marche à peine, ne ferai pas des roues.
La première fois à Paris c'était différent. Marina et moi nous arrivions en fuite, n’anticipant rien. Je n'avais pas cinq mots de français. Au début, j'ai flotté, presque comme un nouveau-né, et nue dans cet endroit sans langue, sans histoire pour moi. Il n'y avait pas de George W. Bush, Guantanamo, la guerre en Irak. Pas de torture. Des échos. J'aurais dû savoir. Je me suis senti aussi légère que quand j'ai quitté le Kentucky avec cent balles, et une seule valise. C’était en 1989. J’avais trouvé une place dans un programme universitaire à New York. J'ai voyagé par bus. J'aime bien les bus. La relation visible entre l'espace et le temps. Le confort du mouvement. Mais j'ai vite découvert qu'il y a un mur, une frontière quelque part qu'on ne traverse pas sans être terriblement libéré de tout. Y compris de soi-même.
À suivre…
Letters from Exile: Excerpts from the notebooks of Fally Dogswell
A journal transformed into a meditation on memory, language, and foreignness itself.
5. La Samaritaine
Gawwwd, I’m tired. Not you? Not bugged yet by my strange, broken sentences? Anyway… I go slowly into the church. No need to run like before. There’s no more nets around the sculptures in front. I suppose they’ve been repaired. The wings of monsters stabilized as well as the heads of angels who have watched over humans for centuries. The good and the bad. The mediocre. Losing their neutrality little by little and becoming less stone than before, crumbling, even restored. At least, when they fall, it’s not my problem. Not the cholera or typhoid either that you can catch from the water in the stoup. It’s disgusting, that water. Bordered by this green-brown stuff. Besides that, the church is more or less what I remember. Open and calm. Cool. Even the tourists remain respectful. Don’t scream. Let the silence enter by their skin. This silence of what? Of God? Or maybe Time. Museums are the same. Like fields when night falls. Or bars still empty at 3 p.m. except for the blues streaming from the jukebox.
Once, I saw a woman enter and kneel in front of a big crucified Jesus not far from the entry. She exposed her soles. At her side, bags from the Samaritaine department store. Her head didn’t move, was as immobile as that of the wooden guy who had his own concerns. For example, the nails in his hands and feet. I watched her with curiosity, and envy, too. What did she want exactly? This woman with perfect stockings and Manolo Blahnik heels. How dare she demand pity, demand help from this figure stuck there like anybody at all? Exiled from all movement, except decay? Lately, I’ve preferred a god a little more available. With visible resources. Like tridents. Or lightning bolts. At least a nice bottle of wine. You can drink it, laugh, dream, or smack somebody with it. They’re fucking solid these bottles.
At any rate, she left suddenly, the Samaritaine bag lady. While I, I stayed practically alone (as human) in the massive building. It was like a big Buddha, present and calm, serene. With no intention of moving come what may. The Cloisters, there in New York, is beautiful, but leaves a different impression. Its spirit seems disturbed, divided, probably because its stones, its feet were ripped from a bunch of places. Nobody asked, You wanna come or what? Or do you want to stay here, crumble bit by bit? Become dust, mud again? Rejoin the earth after centuries apart?
Not everybody’s obliged to be useful. Keep standing. Move. Even if you’ve heard the voice of the Virgin in your head. Even if the bitch said, “Persevere.”
6. Bad Words
I’m sitting at a café with Marina. At least there’s that. Behind us, a group of women. They’re regulars, get so much pleasure out of their little cups of coffee and ever so leisurely conversation. They laugh. I understand everything they’re saying. I’m comfortable—for the moment—there in the sun. Surrounded by these songs of human sounds. I want to speak, too, but don’t dare open my mouth. What will come out? Braying and meows? I’m afraid of saying something stupid, getting humiliated. Remaining a foreigner, in foreign parts you have to be stronger than you know. Even if you don’t screw up, you’re marked, set apart. Your accent emerges. Your sad mug. I, who wanted to be lost in god, I feel so big, swollen, in fact, with your ideas and my own fear.
Back home, I take this notebook, write. Which is even more perilous. I approach your French, it retreats. I approach, it breaks, scatters shards. Before, it was as whole as water. So, why write with this hammer, this knife? I destroy, I discover. Look! I am there. In places that are unexpected, inaccessible in English which flows. Somebody at least gets there. Not really “I”. Who flees all the time. Leaves behind her another “I.” A little empty, without history or language. Memories don’t travel from one language to another. There’s no way to translate those words that are found in this human purgatory of the half-forgotten.
The worst this time is that. The amnesia. The discontinuities. I have enormous gaps. As if my head had been struck by a hammer. Or as if I fell from a wall. Suffering ruptures not at all foreseen by Mr. Plato and his bits of humans that need each other to re-become circular beings, complete. Of what are we made? And me, even twinned with Marina, I barely walk, don’t do cartwheels.
The first time in Paris was different. Marina and I arrived on the run, expecting nothing. I barely knew five words in French. In the beginning I floated. Practically like a newborn, nude in this place without language, without a history for me. Gone— George W. Bush, and Guantanamo. The Iraq war. Torture. Echoes. I should have known. I felt as light as I did when I left Kentucky with a hundred bucks and one sad suitcase. It was 1989. I’d gotten a spot in a graduate program in New York. I travelled by bus. I like the bus. The relationship made visible between space and time. The comfort of movement. But I quickly discovered that there is a wall, a frontier somewhere that you can’t cross without being terribly freed of everything, even yourself.
To be continued…
Stay tuned for your regular A Dyke A Broad newsletter, and more chapters next Thursday.
À bientôt
j’aime comment tu ecris en francais. C’est a la fois poétique et tres direct. Vraiment chouette.