Letters from Exile: Ch 7 & 8
On loving without knowing.
Bilingue!
Helloooooo!
It’s Thursday, which means new episodes in the continuation of my little feuilleton, Letters from Exile. For English, scroll down. Click here to see chapters 1 & 2, 3 & 4, and 5 & 6.
Lettres d'exil: Extraits des carnets de Fally Dogswell
Un journal intime devenu récit sur la mémoire, la langue, et l’étrangeté elle-même.
7. L'Eden
Si seulement je n'avais pas dit ce mot, lesbienne, peut-être je l'aurais eu, le droit au retour. Mais non. Peu après mon arrivé à New York je l'ai écrit à ma mère. Une femme fragile et religieuse, amère. Déjà scandalisée par l'ombre à paupières bleu de mes sœurs. Révoltée par ma brève vie en goth. Et elle, quand elle a lu ce mot maudit dans une lettre, elle m'a proscrit. Sa plus jeune fille. Son petit oiseau. Elle aurait dû savoir. Moi aussi, d'ailleurs. Moi qui n'avais jamais eu un petit ami. Peu de rencards. Pas trop d'amis, ni d'amies non plus. Sauf pour la première année de lycée quand j'ai connu une fille au Louisville Youth Orchestra qui jouait aussi au hockey sur gazon.
Elle avait les cheveux courts bouclés, peau super blanche avec des taches de rousseur sur son visage franc. Elle riait à mes blagues, admirait mes poèmes. Ensemble, nous avons échangé des pénibles histoires des pénibles mères. Fait des virées dans la voiture de sa grand-mère, nous nous sommes balancées sur la balançoire. Nous avons joué dans le ruisseau pas loin du terrain d’entrainement dans un parc. Il était entouré d'arbres, avec les feuilles miraculeuses qui tombaient dans l'eau et dansaient comme de petits bateaux. C'était si froid le ruisseau. Une fois, pendant un grand déluge, on s’est jetées dedans et on a flotté près d'un kilomètre. Après, on a englouti un tas d’Oreos sacramentels.
Je l’ai même emmenée à l'église. Peu de temps après elle se fait baptiser. Sauvée de Dieu sait quoi à cause de moi. Bien que nous ayons eu toute la Nature à nous.
Comme je suis désolée. Je demande pardon. Ma belle...
Je n'ose pas écrire son nom. À cause de ça, peut-être. De l'avoir mise dans les grandes mains du Frère Storment qui l'a descendue dans l'eau si éloignée du ruisseau. Ou plutôt parce que je l'aimais. Et aimer sans savoir me semble pitoyable, même honteux. Oui, j'ai honte d’avoir été tellement aveugle. De n’avoir rien remarqué. Moi qui étais la tête de la classe en espagnol et en anglais. Qui connaissais tous les versets de la Bible par cœur. Mais ça...
Le pauvre poussin. Pour se taire, elle (une « moi » précédente) doit avoir eu si peur.
Je me demande si elle a su que je l'aimais. La fille aux yeux bleus larmoyants, les petites taches. Elle avait trois ans de plus que moi. Elle qui se présentait devant moi récemment avec un sourire hésitant et étrange. J'étais dans le Kentucky en tant qu’écrivain new-yorkaise, lesbienne. Piégée dans une librairie. « Vous souvenez-vous de moi ? »
Non, justement. Jusque-là, je l'avais oubliée. Retournez d'où vous venez. Va-t'en.
8. Travestie
Que le vent les emporte. Les aigrettes des pissenlits. Les souvenirs. Qu’ils pourrissent. Qu'ils brûlent. Je ne sais même pas ce qu'ils sont en fait, les souvenirs. Des mots répétés ? Des photos ? Des cicatrices ? J'arrivais à New York les mains presque vides. Seulement deux ou trois clichés déjà jaunis. Sur l’un d’entre eux, mes sœurs et moi sommes assises sur le canapé, et moi un bébé rondelet dans un costume de Saint Nicolas. Sur un autre, pris à l'école, il me manque plusieurs dents. Et ma mère, quand je lui ai demandé des clichés plus tard, elle n'avait pas refusé. M'a envoyé deux ou trois photos prises lors d'un bal postbac. J'avais l'air toute féminine, presque travestie. Les cheveux en boucles permanentés. La visage maquillé. Comme accessoire -- un mec. Et cette robe extra.
J'en avais presque oublié cette robe. Elle était tellement belle. De soie, je crois, vert marin et si lisse. Serrée comme deux mains en haut et à la taille. Puis, elle coulait jusqu'aux pieds. C'était celle de ma mère. Elle l'avait portée quand elle était la demoiselle d'honneur de je ne sais qui. J’étais terriblement fière de la mettre. Je n’avais pas compris, pas encore, les cris trompeurs des robes. « Je suis dispo ». « Je suis normale ». « Je suis… à toi ». Ces sales photos. Ma mère les avait envoyées avec les annonces de mariage de mes amies d'enfance. Elles étaient des reproches, des tessons de verre.
Elle voulait me blesser, m'effacer, m’anéantir. Après mon « coming out », quand elle me reniait au nom de Dieu, elle a jeté mes vêtements, vendu mon violon. Quant à mes lettres… L'année dernière, elle a rendu plusieurs paquets de trucs à mes sœurs. Les lettres et cartes envoyées de colonies de vacances, de l'université. Et j'ai découvert qu'elle n'avait rien de moi, même de mes premières années lointaines à New York. Je l'imaginais avec ces papiers dans sa main et du feu. Puis, je me demandais ce que la jeune Kelly a bien écrit. Qu'est-ce qu'elle voulait partager avec sa mère ? Ou bien cacher ? Personne ne sait. Moi non plus.
Au moins, j'étais une grande personne quand ma mère a flippé, coupé les liens. On voit partout les enfants stupéfiés et perdus, mis à la rue par leurs proches. Pauvres gosses, qui forment des tribus, se tatouent, se percent. Qui vendent la seule chose qu'ils ont.
À suivre…
Letters from Exile: Excerpts from the notebooks of Fally Dogswell
A journal transformed into a meditation on memory, language, and foreignness itself.
7. Eden
If only I hadn’t said that word, lesbian, maybe I would have had it, the right of return. But nope. Soon after I got to New York, I wrote it to my mother. A fragile, religious, bitter woman. Already shocked by my sisters’ blue eyeshadow. Revolted by my brief life as a goth. And her, when she read that cursed word in a letter, she banished me. Her youngest daughter. Her little bird. She should have known already. Me, too, by the way. I, who never had a boyfriend. Few dates. Not that many friends even, male or female. Except for that first year of high school when I met a girl in the Louisville Youth Orchestra who also played field hockey like me.
She had short curly hair, incredibly white skin with freckles on her open face. She laughed at my jokes, admired my poems. Together, we exchanged painful histories of painful mothers. Went for drives in her grandmother’s car. See-sawed on the see-saw. Played in the creek not long from the practice fields in a park. It was surrounded by trees, with miraculous leaves that fell into the water and danced like little boats. That creek was so cold. Once, during an enormous storm, we threw ourselves in and floated practically half a mile. Afterwards, we stuffed ourselves with a bunch of sacramental Oreos.
I even took her to church. Not long afterwards she got baptized. Saved from God knows what because of me. Even if we’d had all of Nature to ourselves.
I’m so sorry. I apologize. My beautiful…
I don’t dare write her name. Because of that, maybe. To have put her in the big hands of Brother Storment who dipped her into water so far from the creek. Or maybe because I loved her. And to love without knowing seems pitiful, shameful even. Yeah, I’m ashamed to have been so blind. To have noticed nothing. Me who was top of the class in Spanish and in English. Who knew all those bible verses by heart. But that…
Poor little chick. To keep mum, she (a previous “me”) must have been so afraid.
I wonder if she knew I loved her. That girl with watery blue eyes, and little freckles. She was three years older than me. She who presented herself in front of me not long ago with a strange and hesitant smile. I was in Kentucky as a New York, dyke writer. Trapped in a bookstore. “Remember me?”
No, actually. Until that moment I’d forgotten her. Go back where you came from. Go!
8. Drag
May the wind take them. Dandelion fluff. Memories. May they rot. May they burn. I don’t even know what they are really, memories. Repeated words? Photos? Scars? I arrived in New York with practically empty hands. Just two or three already yellowed photos. In one of them, my sisters and I are on the couch, and I’m a fat little baby in a Santa Claus outfit. In another, taken at school, I’m missing a bunch of teeth. And my mother, when I asked her for some later, actually agreed. Sent me two or three taken at the prom. I seemed so feminine, was practically in drag. Permanented hair in curls. Made up face. As accessory—a guy. And this incredible dress.
I’d almost forgotten that dress. It was so beautiful. In silk, I think, sea green and so smooth. Tight on top and through the waist. Then cascading all the way to my feet. It was my mother’s. She wore it as bridesmaid for god knows who. I was so proud to put it on. I hadn’t understood, not yet, dresses’ deceptive cries, “I’m available.” “I’m normal.” “I am… yours.” Fucking photos. My mother sent them with the marriage announcements of my childhood friends. They were reproaches. Shards of glass.
She wanted to wound me, erase me, annihilate me. After my “coming out,” when she banished me in the name of God, she threw out my clothes, sold my violin. As for my letters… Last year, she returned several packets of things to my sisters. Letters and postcards sent from Girl Scout camp, from college. And I discovered she had nothing of mine, even from those distant years in New York. And I imagined her with these papers in her hand and a match. Then, I wondered what young Kelly could have written. What would she have wanted to share with her mother? Or maybe hide. Nobody knows. Even me.
At least, I was an adult when my mother flipped out, cut all ties. Everywhere, you see these lost, dazed children, tossed in the street by their families. Poor kids, who form tribes, tattoo, pierce themselves. Sell the only thing that they have.
To be continued…
Stay tuned for your regular A Dyke A Broad newsletter, and more chapters next Thursday.
À bientôt