Letters from Exile: Ch 9 & 10
Les crochets de mémoire et La Mère Minotaure. Memory Hooks & Minotaur Mom
Bilingue!
Helloooooo!
It’s Thursday, which means new episodes in the continuation of my little feuilleton, Letters from Exile. For English, scroll down. Click here to see chapters 1 & 2, 3 & 4, 5 & 6, and 7 & 8.
Lettres d'exil: Extraits des carnets de Fally Dogswell
Un journal intime devenu récit sur la mémoire, la langue, et l’étrangeté elle-même.
9. Les crochets de mémoire
Même à moi, qu'est-ce qu'il me reste, des décennies après, qu'une terrible légèreté ? De la rage et du chagrin ? Ma peau ? Dedans, il y a un tas de chair et de sang. Des os, une voix. Je prends de la place avec. Dans le métro, mes coudes, ils disent, « Qu'est-ce que tu fous-là? Merde. Cette place c'est à moi, connard. » Ou peut-être je marche. Je traîne dans les rues avec mes vieilles chaussures. Ce cahier. Les yeux grands ouverts. Avec chaque pas je caresse la ville. L'asphalte. Les pierres. À Paris les roches sont blanches et lumineuses. Ou brunes et aussi pleines de trous comme du gruyère.
Il n'y a rien que ça, la ville solide et éternelle. Elle m'aime. Est ma Sauveuse.
Non ! Cette fois-ci j'ai découvert que les rues, et les bâtiments, les roches tellement blanches, ne sont pas éternels. Pas sûrs. Ils font semblant. Sont vulnérables. Cachent. Quand je ne les surveille pas, ils se déplacent millimètre par millimètre. Marchent un peu en avant, peut-être en arrière. Ont des sentiments et ressentiments. La pâtisserie rue Monge n'était pas heureuse. Les propriétaires étaient bizarres ; les baguettes sortaient tordues du four. Je n’étais pas surprise quand l'endroit a pris feu. Dans le trottoir il ne reste que des taches d'un grand fleuve noir.
Des fois, j'ai si peur de me dissoudre. Le Kentucky c'est où? C'est quoi ? Un territoire de ploucs ? De poulets frits ? De chevaux, n'est-ce pas ? Même moi, j'ai oublié. Les souvenirs ont disparu, se sont envolés, la fille du ruisseau avec. À Lexington l'année dernière, j'ai bu un verre avec des anciennes amies de l'université. Elles racontaient des histoires si drôles que nous avons ri tout l'après-midi. Sauf que je ne me suis souvenue de rien. Pas la fois quand notre bagnole a pris feu à la station-essence. (Comme les chose aiment à brûler !) Ou quand j'ai dû soigner l'une d'elles détroussée près de ma porte. Brave fille, elle pourchassait le con pour récupérer son sac.
Elles étaient toutes si belles, ces filles, ces femmes. Leurs souvenirs à porter de la main comme des clopes. À la bouche, le même langage prononcé avec le même accent. Dans leurs sacs, des portefeuilles pleins de clichés. Chaque chose familière est un crochet, un piège. Sans eux, l'histoire s’évapore. Et nous avec.
Comme ballast, je mange les parfums de la ville, les sons. Avec les cris des corneilles, des mouettes, les cloches, je prends du poids, de la place à nouveau. Les chiens arrosent chaque coin, chaque arbre. J'imagine que je laisse ma trace aussi comme eux.
Sauf que... Non. Quelque chose me revient. C'était 1990. L'été. Je n’étais à New York qui depuis un an. J’avais un petit studio à Grand Street. Un chat. Alice B. Toklas Trouillard. Et ma première amante ouvertement lesbienne. Ma mère, je lui avais écrit pour lui dire que j'étais heureuse avec Amy. Et quand elle m'informait qu'elle ne voulait plus de moi, elle m'avait renvoyé toutes mes lettres et cartes comme une maîtresse rejetée. Et moi, quand j’ai vu mon écriture enfantine, les petits paquets attachés avec des rubans ternis, j'étais assommée. J'imaginais un pont et je l’ai brulé. Et en cinq minutes j'ai fait disparaître les souvenirs de vingt-quatre ans, peut-être plus.
10. La Mère Minotaure
Je reviens à la pluie parisienne et au présent, 2014, jette un coup d'œil sur les réseaux sociaux, et trouve un post de ma sœur. Quelque chose ne va pas avec ma mère. Je l'appelle. Elle est tombée une fois de plus, et de toute façon est devenue presque un squelette. Elle ne mange pas. Imagine que c'est déjà fait, cette affaire de déjeuner, dîner. « Je ne veux pas prendre du poids, » elle rit. « Comme ton père dégueulasse, et ta sœur. » Donc, elle se trouve dans une maison de retraite avec les murs étrangers. Enfin, pour le moment. Elle a peur. Ne peut pas rester seule chez elle. Ne veut pas avoir de compagnon. Encore moins déménager. « Oh, non. Pas ça. Impossible. »
Elle sait bien que son départ de 3333 rue Cornelia ne fera pas d'elle un Odyssée. De ce voyage on ne revient pas. On aura une seule aventure. La mort. Partir de chez elle sera un aveu. Même à moi, elle me fait pitié. Elle qui ne veut pas mourir. Moi non plus. Sauf les jours quand je veux être déjà morte, au moins, endormie ou ivre. L'incertitude de la vie c'est trop. Je peux plus la supporter.
Nous sommes en août. Je l'ai vue quand, ma mère ? En avril, je crois. Cela faisait une quinzaine d'années que je ne lui avais pas rendu visite. J'ai eu peur. Moi. Toute grande. Même si elle a ralenti un peu, décidé qu'elle pouvait me parler sans endommager son âme ou la mienne. Pendant des décennies, je l'ai imaginée en monstre. Un Minotaure. Avec raison. On peut se perdre chez elle. Être follement blessé. Elle aime bien les sacrifices de sang. Et moi, je suis une vrai trouillarde. Je l'admets. Alors, j'ai obligé une amie, Adrienne, à m'accompagner. Être mon fil d’Ariane. « Ne va pas trop vite », lui ai-je supplié en route. Elle riait. Nous passions à coté de notre ancien lycée moche et pauvre. Les petits jardinets des petites maisons. Les arbres qui avaient beaucoup grandi. Sauf chez nous. Je découvre que ma mère les a presque tous fait couper. L'érable, le cornouiller, le pommetier. Elle les a remplacés avec de la pelouse et des fleurs. Pas de feuilles en automne, pas de fruits salissants qui tombent partout.
Quand nous sommes arrivées, je suis restée si longtemps dans l'allée, ce passage entre le présent et le passé, que ma mère a émergé de la maison. Elle nous fit signe d'approcher.
Mais maintenant, c'est elle qui cherche ses ficelles, qui a peur. Son corps lui-même disparaît. Elle sera l'os dans le désert. Un peu de poussière. Après--un rien.
À suivre…
Letters from Exile: Excerpts from the notebooks of Fally Dogswell
A journal transformed into a meditation on memory, language, and foreignness itself.
9. Memory Hooks
Even for me, what’s left, decades afterwards, but a terrible lightness? Rage and grief? My skin? Inside, a bunch of flesh and blood. Bones, a voice. I take up space with it. In the metro, my elbows say, “What the fuck are you doing? Shit. That’s my spot, asshole.” Or maybe I walk. I trail through the streets with my old shoes. This notebook. Wide-open eyes. With each step I caress the city. The asphalt. Stones. In Paris, the stones are luminous and white. Or brown and as full of holes as gruyère.
There’s nothing but that, the solid and eternal city. She loves me. Is my Savior.
No! This time I’ve discovered that the streets, and buildings, the incredibly white rocks are not eternal. Or sure. They’re fakers. Are vulnerable. Hide. When I’m not watching them, they move millimeter by millimeter. Go a little forward, a little back. Have sentiments and resentments. The bakery on rue Monge wasn’t happy. The owners were weird; the baguettes came twisted out of the oven. I wasn’t surprised when the place caught fire. On the sidewalk, there’s nothing left but stains of a huge black river.
Sometimes, I’m so afraid of dissolving. Kentucky is where? Is what? Land of hicks? Of fried chicken? Of horses, right? Even me, I’ve forgotten. My memories have disappeared, flown off, and the creek girl with them. In Lexington last year, I had a drink with a couple of old college friends. They told stories that were so funny we laughed all afternoon. Except that I didn’t remember anything. Not the time our car caught fire at a gas station. (How things love to burn!) Or when I had to help one of them mugged practically at my doorstep. Brave girl, she chased the fucker down the street to get her bag back.
They were all so beautiful these girls, these women. Their memories at hand like smokes. In their mouths, the same language pronounced with the same accent. In their bags, their wallets full of snaps. Each familiar thing is a hook, a trap. Without them, history evaporates. And us with it.
Like ballast, I eat the smells of the city, its sounds. With the cries of the crows, sparrows, bells, I take on weight, take up space again. Dogs wet each corner, each tree. I imagine that I also leave my trace like them.
Except… No. Something’s coming back to me. It’s 1990. The summer. I’d only been in New York a year, had a little studio on Grand Street. A cat. Alice B. Toklas Scaredycat. And my first openly lesbian lover. I’d written to my mother to tell her I was happy with Amy. And when she informed me she was washing her hands of me, she returned all the letters and cards I’d ever sent her like a rejected mistress. And me, when I saw my childish handwriting, the little packets tied up with faded ribbons, I was stunned. I imagined a bridge and I burnt it. And in five minutes, disappeared 24 years of memories, maybe more.
10. Minotaur Mom
I return to the Paris rain, and the present, 2014, take a quick glance at social media, find a post by my sister. Something’s the matter with my mother. I call her. She’s fallen again, and anyway is practically a skeleton now. She doesn’t eat. Imagines it’s already been done, this thing of lunch, diner. “I don’t want to gain weight,” she laughs. “Like your disgusting father. Your sister.” So she finds herself in a nursing home with strange walls. At least for the moment. She’s afraid. Can’t remain alone at home. Doesn’t want to have a companion. Even less to move. “Oh no. Not that. Impossible.”
She knows full well that leaving 3333 Cornelia Drive won’t make an Odysseus of her. No one returns from this voyage. There’s only one more adventure. Death. Leaving her home would be an admission. Even I feel pity for her. She who doesn’t want to die. Me either. Except those days when I want to be already dead. At least asleep. Or drunk. The uncertainty of life is too much. I can’t stand it anymore.
It’s August. When’s the last time I saw her—my mother? In April, I think. That means it had been fifteen years since I’d seen her. I was afraid. Me. All grown up. Even if she’d softened a little, decided she could talk to me without destroying her soul or mine. For decades, I’d imagined her a monster. A Minotaur. With reason. You can lose yourself around her. Be horribly hurt. She likes a nice bloody sacrifice. And me, I’m a real coward. I confess. So, I made a friend, Adrienne, go with me. Be the thread Ariane gave Odysseus. “Don’t go so fast,” I beg her on the way. She laughs. We went by our old high school, ugly and poor. The tiny yards of tiny houses. The trees had grown a lot. Except at home. I find that my mother had gotten most of them cut down. The maple, the dogwood, the crabapple. She replaced them with grass and flowers. No leaves in autumn, no messy fruit falling all over the place.
When we arrived, I paused so long on the driveway, that passage between the present and the past, that my mother came out of the house. And beckoned us in.
Now, it’s her looking for threads. That’s afraid. Her body itself is disappearing. She’ll be a bone in the desert. A little dust. Then—nothing.
To be continued…
Stay tuned for your regular A Dyke A Broad newsletter, and more chapters next Thursday.
À bientôt