Letters from Exile: Ch 11 & 12
"I should have felt victorious, right? At least indifferent. But we also mourn our fallen enemies. Even if they’re frail." Plus never before seen photos of Proust.
Bilingue!
Helloooooo!
It’s Thursday, and the continuation is back of my little feuilleton, Letters from Exile. For English, scroll down.
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Lettres d'exil: Extraits des carnets de Fally Dogswell
Un journal intime devenu récit sur la mémoire, la langue, et l’étrangeté elle-même.
11. Les apparences des choses
Non. Attend. Je vais trop vite. Maman n'est pas morte, pas aujourd'hui. Comment était-elle quand je lui ai rendu visite en avril ? On est entrées dans la maison. Elle avait peint les murs en couleurs vivantes. Cobalt, vert pomme. Avait accroché ses propres tableaux. « Je suis une vraie Grand-maman Moses », elle a dit devant les anciens meubles, le sofa, mon cher fauteuil, pas du tout changé. Elle aussi se ressemblait. Les mêmes cheveux rouges naturels. Les mêmes yeux bruns et trop brillants, mais entourés par des rides. Elle portait des jeans, et deux pulls parce qu'elle était déjà trop mince et avait froid. Et elle souriait. Oui, comme elle souriait. Beaucoup trop, comme moi. Et riait aussi. Était nerveuse. Avait peur. De moi. C'était Adrienne qui m'a dit après. J'ai juste remarqué qu'elle n'était pas méchante avec moi. En fait, elle voulait que je reste, passe la nuit chez elle. Quelle idée terrifiante. Piégée là, les souvenirs, là, « je » fluctuant entre quatre ans, douze, presque cinquante. Je suppose qu'elle a oublié que j'étais une sale gouine. Elle, qui n'avait jamais prononcé le nom de ma copine de deux décennies, Marina. Marina.
Je fus quand même inspirée de l'embrasser pour la première fois en trente ans. Ses épaules étaient tellement décharnées. Et elle, horriblement reconnaissante.
J'aurais dû me sentir victorieuse, non ? Au moins indifférente. Mais on pleure aussi les ennemies tombées. Même si elles sont frêles. Et cela fait des années que j'ai abandonné le champ de bataille, les blessures, la vengeance, l'armure aussi. Je suis une petite larve, sans carapace. Je laisse mes ennemis attaquer direct au cœur. Ma voix est souvent la leur. Des fois, même mes yeux sont à eux et dans le miroir, je me vois laide. Je suis trop grasse. Le vêtement ne va pas. Je n'ai pas de grâce quand je bouge. Probablement je pue. Je ne veux pas être hétéro, mais même en tant que goudou je n'arrive pas à notre hauteur. Je fais crier les gens. Suis ridicule.
Néanmoins, de temps en temps je vois le reflet d'une fille dans la fenêtre du métro, et je la trouve... beau. Comme c'est choquant, voir la goudou-là. Son (mon) profil m'attire. Il est immobile. Il parle de quelque chose. Derrière le calme, il y a une tristesse. Et derrière ça, presque inaperçu, il y a peut-être de la joie. Je veux lui dire, « Réveille-toi. Fais quelque chose ! Sois légère de nouveau. Ou lourde. Sois aussi lourde qu'une pierre. » Mais comment ? Je ne suis pas assez zen pour devenir ni pierre, ni eau. Un jour je deviendrai entièrement poussière comme tout le monde. Ou peut-être poisson.
12. Proust à la piscine
Aujourd'hui, je suis allée à la piscine au moment mal choisi. Quand les gens sortent de leur boulot et jouent aux poissons, essayant de s'éviter dans l'eau à midi. J'en ai heurté plusieurs. J’ai été heurtée. « Désolée, euh. Merde. » Quand même, c'était bien. On entre tous dans le même vestiaire, hommes, et femmes et gouines. Je me décontracte dans l'eau. Je flotte vraiment. Les sons viennent de loin. Mais sont clairs. Les idées aussi sont plus précises. Elles ne se mélangent pas avec le bruit du trafic, la télé du voisin. Les foutus pigeons. Je veux bien être une baleine. Elles font de la musique, elles. Chantent avec des voix profondes et mystérieuses. Elles prennent de la place.
Après, j'ai faim. J'achète une baguette au coin, mange un morceau. Je suppose qu'il y a un nom pour la toute petite noix au bout, mais je ne le connais pas. De toute façon, elle n'existe plus. Elle est dans ma bouche, puis mon ventre. Je ferai un sandwich pour nous deux. Quelque chose d'énorme. Chez nous, je coupe du fromage, concombre, tomate, oignon, avocat. Je fais des strates avec tout ça. Je ne peux pas le fermer. Mais il n'échappera pas. Je le coupe en deux, le mets dans un plat, et voilà. Le déjeuner !
J'arrête la bouche pleine. Autre chose me revient. Je me souviens, merde, encore de ma mère. Je suis petite. Elle est debout dans la cuisine aux murs très jaunes. Avec cette chose dans sa main. Quelque chose que je n'ai jamais vu. Qu'elle mange avec une cuillère. Mais c'est pas de la glace, même si elle a l'air tellement ravie que j’en demande un peu. Elle m'explique que c'est quelque chose de rare et super cher. J'insiste. Malheureusement, elle cède. Je le prends dans ma bouche. Comme il est dégueulasse l'avocat. Vert et gluant. « Il doit être pourri », je dis. « Oui, c'est ça ».
Ma mère me trouve très marrante. Elle rit. M'embrasse.
Cela fait 20 ans, 30, que je n'ai pas vu ce sourire ouvert. Donc, pleurons-nous aussi cette femme fulgurante, audacieuse et heureuse, indulgente, généreuse. Ouverte à plaisir. Morte depuis longtemps. Non, stop ! Allez. Merde.
À suivre…
Letters from Exile: Excerpts from the notebooks of Fally Dogswell
A journal transformed into a meditation on memory, language, and foreignness itself.
11. The Appearance of Things
No. Wait. I’m going too fast. Mom’s not dead, not today. How was she when I visited in April? We all went in the house. She’d painted the walls in vibrant colors. Cobalt. Apple green. Had hung her own paintings. “I’m a real Grandma Moses,” she said standing in front of the old furniture, the sofa, my beloved armchair, not at all changed. She looked just like herself, too. The same naturally red hair. The same eyes, brown and too-bright, though surrounded by wrinkles. She wore jeans, and two sweaters because she was already too thin and felt cold. And she smiled. Yes, how she smiled. Way too much, like me. And laughed, too. Was nervous. Was afraid. Of me. It was Adrienne who told me afterwards. I’d only noticed that she wasn’t mean to me. In fact, she wanted me to stay, spend the night there, in her house. What a terrifying idea. Trapped there, the memories, where the “I” yo-yos between the me of four years, twelve, almost fifty years old. I suppose she forgot I was a disgusting dyke. She, who never pronounced the name of my girlfriend of two decades, Marina. Marina.
Still, I was moved to hug her for the first time in thirty years. Her shoulders were so boney. And she, so grateful.
I should have felt victorious, right? At least indifferent. But we also mourn our fallen enemies. Even if they’re frail. And it’s been years that I abandoned that battlefield, the wounds, vengeance, armor, too. I’m a little shellless larva. I let my enemies attack right at my heart. My voice is often theirs. Sometimes, even my eyes belong to them, and in the mirror I find myself ugly. I’m too fat. My clothes don’t suit me. I have no grace when I move. Probably, I stink. I never wanted to be het, but I fall short even as a dyke. I make people scream. Am ridiculous.
Nevertheless, every once in a while I see the reflection of a girl in the window of the metro, and I find her—handsome. It’s so shocking to see that dyke there. Her (my) profile pulls me. It is immobile. It says something. Behind the calm, there’s a sadness. And behind that, practically unnoticed, there’s maybe joy. I want to say, “Wake up. Do something! Be light again. Or heavy. Be as heavy as a stone.” But how? I’m not zen enough to become either stone or water. One day, I’ll become pure dust, like everyone else. Or maybe a fish.
12. Proust at the pool
Today, I went to the pool at the worst possible moment. Just when people leave their jobs and play at being fishes, trying to avoid each other in the water at noon. I hit a bunch. And they hit me. “Sorry, uh. Shit.” Still, it was nice. We all go into the same dressing rooms, man, woman, dyke. I unwind in the water. I truly float. Sounds come from far away. But are clear. Ideas, too, are more precise. They don’t get mixed up with the sounds of traffic, the neighbor’s TV. The fucking pigeons. I would like to be a whale. They make music. Sing with deep and mysterious voices. They take up space.
Afterwards, I’m famished. I buy a baguette at the corner, eat a bit. I imagine there’s a name for that tiny little nub at the end, but I don’t know what it is. At any rate, it doesn’t exist anymore. It’s in my mouth, then my belly. I’ll make a sandwich for two. Something enormous. At home, I cut cheese, cucumber, tomato, onion, avocado. I stratify it. Can’t close the thing. But it won’t escape. I cut it in two, stick it on a plate, and voilà. Lunch!
I stop in mid-chew. Something else is coming back. I remember… shit. My mother again. I’m little. She’s standing in the kitchen with its very yellow walls. With something in her hand. Something I’ve never seen. That she’s eating with a spoon. But it’s not ice cream, even if she seems so delighted I ask for a bite. She explains that it’s something hard to get and really expensive. I insist. Unfortunately, she gives in. I put it in my mouth. My god how avocado is disgusting. Green and slimy. “It must be rotten,” I say. “That’s it.”
My mother thinks I’m hilarious. She laughs. Hugs me.
It’s been about twenty, thirty years since I’ve seen that open smile. So, let us mourn as well the fleeting woman who was audacious, happy, indulgent, generous. Open to pleasure. And longtime dead. No, stop! Chill out. Shit.
To be continued…
Stay tuned for your regular A Dyke A Broad newsletter, and more chapters next Thursday.
À bientôt