Letters from Exile: Ch 13 & 14
I wanted to be a bench. A tree. A pigeon. Even if I don’t like pigeons. Last time in Paris I became a statue. Maybe that’s the story I wanted to tell you. A woman changed into a sphinx.
Bilingual edition!
Helloooooo!
It’s Thursday, which means two more chapters of my little feuilleton, Letters from Exile. For English, scroll down.
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Lettres d'exil: Extraits des carnets de Fally Dogswell
Un journal intime devenu récit sur la mémoire, la langue, et l’étrangeté elle-même.
13. Luco
Il y a des avantages quand même d'être nue au monde, légère. On peut flâner doucement. Découvrir un tas de choses. Si on manque de souvenirs, on peut voler ceux des autres. Ou les inventer, saisir les petits et les gonfler. Hier soir, on se trouvait au Panthéon pour regarder les feux d'artifice du quatorze juillet. Il y avait une foule de jeunes gens. Chacun avec une bouteille de rosé et un sourire léger. Ils n'étaient pas des patriotes aveugles, eux. Mais un pique-nique c'est toujours un plaisir. Mais finalement, ils s'exclamaient avec étonnement et joie après chaque explosion.
En attendant nous étions assis sur les pavés sales et froids. Derrière nous étaient le vaste dôme et les os des mecs morts et Marie Curie. Devant, les rues brillantes de la ville. À côté une femme et son tout petit fils. Quand les retardataires essayaient de rester debout elle ouvrait sa grande bouche et criait, « Asseyez-vous ! » avec une telle autorité que tout le monde tombait à terre immédiatement et y restait. Même si elle avait un accent américain encore pire que le mien. Je l’admirais, la regardais longuement.
Aujourd'hui, je suis allée au Luco, et elle était là aussi, cette femme avec sa bouche grande ouverte qui était chez elle partout. Elle me reconnaît aussi, et m’a souri. Mais nous ne nous disions rien. Le sol brillait et pas la lune, rien n'explosait. J'ai passé le lion avec sa proie et suis arrivée au verger. J'ai examiné soigneusement les poiriers et les pommiers. Puis mon kaki adoré où les petites boules de fruit étaient en train d'apparaître. Plus loin, les abeilles bourdonnaient un grand opéra de Bizet.
J'attendais le moment quand je serais comme la femme là, tout à fait à l'aise. Je ne voulais plus être une observatrice du paysage, mais là-dedans, une citoyenne, au moins, de la ville. Je n'aurais pas besoin de rire tout le temps, de sourire. De faire quoi que ce soit. Juste respirer. Être vivante. Je laissais les yeux glisser par ici, par là. Je cherchais un trou où je pouvais reposer. Je voulais être un banc. Un arbre. Un pigeon. Même si je n'aime pas les pigeons. La dernière fois à Paris je suis devenue une statue. Peut-être c'était celle-là, l'histoire que j'ai voulu raconter. La femme changée en sphinx. Oui. Faite de papier et de chair. Je ne plaisante pas. Il y a même une vidéo.
14. Les Sphinx
Tout le monde a des obsessions, même les pauvres. Elles ne prennent pas beaucoup de place, les idées. On peut en mettre plusieurs dans la même valise. Des milliers, en fait. Ou une seule grande. La mienne est arrivée après une visite à Versailles lors de notre dernier voyage. Nous avons vu le château énorme. Le domaine. Le petit village de la reine qui a eu ses propres manies. J'ai aimé tout le décor au palais, en particulier les trucs inspirés par l'Égypte et la Grèce. Les couleurs hors norme. Les sculptures. Surtout celle du sphinx.
La créature m'a suivie, a grandi, s'est multipliée. Cet être étonnant avec des ailes, des petites pattes de lions, des lolos. Souvent elles (j'insiste sur le genre) sont obligées de soutenir des tables ou des murs. Mais elles ne sont pas gênées. Pas trop. Elles attendent. Elles attendent toujours avec la dignité de ceux qui sont féroces mais contraints. Par les règles du jeu. Ou leur matière si dure. De toute façon, elles sont éloignées de nous, les humains. Peut-être leur lutte est dans un autre plan. Ou elles s'amusent à poser. Tous les chats sont des plaisantins. Ils jouent même avec leur proie malheureuse. Je ne dois pas oublier non plus que les sphinx gardent la route. Posent des énigmes. Il faut trouver la bonne réponse pour y accéder. Si tu te trompes, c'est la mort. Ou encore pire, t'es coincé là-bas au carrefour.
Je les ai découvert en ville, les statues des sphinx. Devant un quai quelconque. Puis un bâtiment. Deux. Trois. Merde, un peu partout. Avec des traces dans les ailes des pigeons. Des anges. J'ai voulu les voir encore plus, ces figures monstrueuses. Masculines et féminins. De lion et d'aigle. De pierre. Immobile. Dans un état de refus. J'ai surtout imaginé leurs cuissots aux endroits vides. Les squares. Les toits. Je voulais devenir une sphinx. Je l’ai fait.
J'ai construit des ailes avec des tuyaux en plastique. De la ficelle. Des feuilles de papier éventrées d'un livre, page par page, d'une biographie de ce connard de Che Guevara, oui, lui, l'architecte des goulags à Cuba pour les putes, divers chrétiens, et bien sûr les homos. Nos corps, nos vies étaient tellement subversives que nous étions beaucoup plus que pécheurs, mais des ennemis de l'état hétéro mais homodoxe état cubain. Ma copine parmi eux. Ses amis. Eux qui ont goûté les camps de travail, les geôles. La torture des médecins. Ici, y'a pas de prisonniers politiques ils ont dit à Marina juste avant les électrochocs.
J'ai fait un essai en sphinx chez moi vêtue seulement d'un soutien-gorge et d’une culotte. Il faut s'exposer. Poursuivre l'immobilité aussi. J'ai fait de mon mieux. Ce n'était pas facile. Trop de pression sur les genoux. Et les ailes étaient belles mais difficiles à tenir. Je me suis sentie comment, au juste, hormis stupide, inconfortable ? Presque nue sur la table. Un caméscope, le seul œil? Je l'admets. Je me suis sentie bien aussi. J'ai réussi à renverser les rôles. Je n'étais plus la suppliante au carrefour, mais la bête. Je me suis échappée de ma vie, de mon corps. Pour un instant. Tout de suite je voulais reprendre l'événement. Me mettre moi-même dans les espaces vides, dans les endroits publics qui désiraient ardemment une statue. Un être mi-sphinx, mi-gouine.
Après, tout était changé. J'ai recommencé mon trajet d'artiste longtemps abandonné. Et j'ai trouvé ma place à Paris au bout de cinq ans. Quand j'ai été obligée de partir deux mois après, j'étais détruite, exilée de nouveau. Pauvre conne avec des larmes aux yeux au supermarché Whole Foods à New York.
À suivre…
Letters from Exile: Excerpts from the notebooks of Fally Dogswell
A journal transformed into a meditation on memory, language, and foreignness itself.
13. Luco
Still, there’s advantages to being nude in the world, light. You can stroll slowly. Discover a bunch of things. If you lack memories, you can always steal someone else’s. Or invent them. Grab the little ones and inflate them. Yesterday evening, we were at the Pantheon to watch the Bastille Day fireworks. There were a lot of young people. Each with their bottle of rosé and a little smile. They weren’t blind patriots, not them. But a picnic is always nice. Though finally, they shouted with astonishment and joy after each explosion.
While we were waiting, we sat on the cold, dirty paving stones. Behind us was the vast dome, and the bones of dead guys plus Marie Curie. In front, the shining streets of the city. Nearby, a woman and her small son. When latecomers tried to keep standing up, she opened her big mouth and screamed, “Sit down!” with such authority that everyone fell immediately to the ground and stayed there. Even if she had an American accent that was even worse than mine. I admired her, looked at her for a long time.
Today, I went to the Luco, and she was there too, this woman of the wide-opened mouth who was at home everywhere. She recognized me and smiled. But we didn’t say anything. The sun shone and not the moon. Nothing exploded. I passed the lion with his prey and came to the orchard. Carefully examined the pear and apple trees. Then my beloved persimmon where the little balls of fruit were starting to appear. Further along, the bees buzzed Bizet’s big opera.
I was waiting for the moment when I’d be like that woman, entirely at ease. I no longer wanted to be an observer of the landscape, but inside it, a citizen, of the city at least. I wouldn’t need to laugh all the time, or smile. To do anything at all. Just breathe. Be alive. I let my eyes slide this way, then that. I was looking for a hole where I could rest. I wanted to be a bench. A tree. A pigeon. Even if I don’t like pigeons. Last time in Paris I became a statue. Maybe that’s the story I wanted to tell you. A woman changed into a sphinx. Yeah. Made of paper and flesh. I’m not kidding. There’s even a video.
14. The Sphinx
Everybody has obsessions, even the poor. They don’t take up much space, ideas. You can put several in the same suitcase. Thousands, actually. Or one big one. Mine appeared after a visit to Versailles during our last trip. We saw the enormous castle. The grounds. The little village where the queen had her own manias. I loved the palace decor, especially the stuff inspired by Egypt and Greece. The extraordinary colors. The sculptures. Above all, the sphinx.
The creature followed me, grew, multiplied itself. This astonishing being with wings, little lion feet, tits. Often the girls (I insist on the sex) are forced to hold up tables or walls. But they’re not upset. Not much. They wait. They always wait with the dignity of those who are fierce but constrained. By the rules of the game. Or their material which is so hard. At any rate, they’re far-removed from us, we humans. Maybe their fight is on another plane. Or they’re amused to pose. All cats are jokers. They even play with their unfortunate prey. I shouldn’t forget either that sphinx guard the road. Ask riddles. You have to find the right answer to get by. Answer wrong, it’s death. Or worse, you’re stuck there at the crossroads.
I found them in the city, statues of sphinx. In front of some quai. Then a building. Two. Three. Shit. A little everywhere. With echoes in the wings of pigeons. Of angels. I wanted to see even more, these monstrous figures. Masculine and feminine. Of lion and eagle. Of stone. Immobile. In a state of refusal. I imagined above all their haunches in empty spaces. Parks. Roofs. I wanted to become a sphinx. I did.
I made wings with plastic tubes. With string. Sheets of paper ripped from a book, page by page, a biography of that asshole Che Guevara, yeah, him. The architect of Cuban gulags for whores, an assortment of Christians, and homos of course. Our bodies, our lives so subversive that we were much more than sinners, but enemies of the hetero- while homo-dox Cuban state. My girlfriend among them. Her friends. Those that tasted the work camps, the jails. The doctors’ tortures. Here, there’re no political prisoners, they said to Marina just before the electroshocks.
I did a test as a sphinx at home dressed only in a bra and underpants. You have to expose yourself. Pursue immobility, too. I did my best. It wasn’t easy. Too much pressure on my knees. And the wings were beautiful, but hard to hold. How exactly did I feel, besides stupid and uncomfortable? Practically nude on the table. A video camera the only eye? I admit it. I felt good, too. I managed to switch roles. I wasn’t the suppliant at the crossroads anymore, but the beast. I escaped my life, my body. For an instant. Right away I wanted to repeat it. Put myself in empty spaces, in public places that desperately needed a statue. A being half-sphinx, half dyke.
Afterwards, everything was different. I resumed my trajectory as an artist that had long been abandoned. And I found my place in Paris after five years there. When I was forced to leave just two months later, I was destroyed, exiled again. Poor fucker weeping at a Whole Foods market in New York.
To be continued…
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À bientôt