Letters from Exile: Ch 15 & 16
Notes on same-sex marriage sacraments, plus cannibalism, and the delicious taste of fear.
Bilingual edition!
Helloooooo!
It’s Thursday, which means two more chapters of my little feuilleton, Letters from Exile. For English, scroll down.
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Lettres d'exil: Extraits des carnets de Fally Dogswell
Un journal intime devenu récit sur la mémoire, la langue, et l’étrangeté elle-même.
15. Mariage, Rue des Martyrs
Cela semble si lointain. J’étais quelqu’une d’autre. Toi aussi. Ou pas.
À l'Église St. Jean de Montmartre, je regarde une femme polir les grands bougeoirs, et d'autres babioles d'autel. Elle a une cinquantaine d'années. Est concentrée sur sa tâche. J'imagine qu'elle n'est pas payée mais le fait comme un geste de dévouement. D'espoir. Comme moi, je vais aux manifs. J'écris des articles bimensuels pour un journal gay. Demande de l'égalité. De la justice. De la liberté. Quelle bêtise.
De toute façon, l'église est propre, le vitrail sympa. Est très calme, même avec le guitariste dehors Place des Abbesses qui veut être Jimi Hendrix. Mais ne l'est pas. Elle m'intrigue, cette église. Peut-être parce qu'elle est assez moderne. De nos jours, on ne les construit pas, sauf aux Etats-Unis où les méga-bêtises prennent leurs places parmi les grandes usines, et produisent autant de fric et deux fois plus de haine. Ma sœur qui est restée dans le Kentucky fréquente celle qui dénonce les gays et ne permet pas aux femmes de prêcher. La bouche féminine salit les mots. Les laisse pollués.
L'Église catholique en France n'est pas mieux. Mais leurs bâtiments sont ouverts au moins. Souvent utilisés pour des concerts et d'autres évènements de la ville. Ici, Place des Abbesses, l'Église a perdu la bataille, et aussi la guerre. Au moins, j'espère. Le jour, n'importe qui peut entrer. Aujourd'hui je viens pour reposer les pieds. J'admire le plancher. Il n'est pas en dallage, mais en bois à chevrons. Puis, je regarde bien l'allée centrale où se trouve parfois un prêtre, peut-être une mariée, et pour la première fois dans ma vie, je cherche à m'imaginer là. Mauvaise idée. J'ai tout de suite un malaise, suis presque évanouie.
Convoquer les gens pour faire quoi ? Nous regarder ? Donner leur soutien ? Des cadeaux ? J'aime bien les cadeaux. On a besoin d'un bon grille-pain. Et vêtues de quoi ? J'ai rien. Je ne comprends pas. Cette chose tellement intime. Le mariage. Ici ? Fait devant les yeux de tous. Même d'un Jésus torturé ? Quelle bizarrerie. Quand même, quand même, je devrais être capable d'imaginer quoique-ce soit. Et moi-même, j'ai lutté pour le droit. L'acte d'imaginer la cérémonie ne doit pas être aussi violent.
Deux filles dans l'allée, l'une d'elles moi—inconcevable.
Même si j'ai vu un mariage goudou à la mairie de New York. Les parents d'une fille les larmes aux yeux. La foule plutôt féministe dans les poses ironiques. Obligatoire pour les photos de cet acte ultra hétéronormatif de deux militantes lesbiennes. Une mariée était contente. L'autre absolument folle de joie. Après tout, elle travaille beaucoup au Nigeria. A eu ses amis gays ciblés, tuées même comme des diables, traitres, étrangères. Elle aussi est attaquée. Alors, quel bonheur, quelle joie d'être transformée en être humain, citoyenne, avec ces simples sacrements de gâteau et de champagne. Je t’aime.
16. Goudou voyou
Moi, j'ai autre chose aux lèvres. Du sang et des chairs. Des mots. Maintenant, un petit discours à propos de la joie. La joie du mal. De la violence. D'inspirer de la crainte et de la peur. Et pas seulement dans ma mère. J'en ai gouté à l'époque quand j'étais une militante lesbienne nouveau-née avec une veste de cuir noir et un crâne rasé. C’était en 1994, au coin de 1st street et 1st Avenue à New York où les bagnoles ont failli me tuer mille fois. Cette nuit-là, j'en ai eu assez. Je me suis arrêtée au plein milieu de la rue, et j'ai frappé les capots et crié. Les gens à l'intérieur étaient terrorisés. Et moi, si heureuse. Tant mieux, j'ai pensé. Ils l'avaient bien mérité. Tant de fois j'étais terrorisée par ces gros mecs avec ou sans bagnoles. Mais pas celle-ci. Cette fois c'était moi le loup alpha qui montrait les crocs et hurlait.
Faut reconnaître. C'est de moins en moins caché, notre capacité pour la violence et la haine. Elle s'enracine en ligne. Puis, explose dans les rues. Dans le paysage ultra politique.
Et cette nuit-là j'ai appris que c'est bien plus agréable d'être l'agresseur que l’agressée. Moi aussi j'en ai des frontières qu'on ne doit pas traverser. Quelle joie à les voir bouches béantes, yeux grands ouverts. Quelle puissance. Quelle tentation. Imagine ! Pour en finir avec la persuasion, la raison, les supplications, les mots. Les petites manifs goudouneuses qui sont censées édulcorer la colère avec de l'humour parce qu'on est des femmes et il faut tout dire avec un très joli sourire. Oui, pour en finir avec tout ça. Avoir des trucs tout de suite. Obliger. Terroriser. J’ai sûrement le droit après tout ce que j’ai vécu.
Oui. Quel délice, le goût de la peur des autres. Quelle honte de le montrer. De me sentir si satisfaite. De prendre plaisir. Comme toi. Ma mère pleine de rage, de violence dans son genre. Elle nous frappait avec ce qu’elle avait sous la main, une cuillère en bois, une tapette à mouche. Mais elle préférait l'arme des mots. Te réduire à rien. Elle criait avec fureur et haine. T'es sale. Tu pues. T'es un fainéant comme ton père.
Pendant des années, même dans mes cauchemars, nous nous sommes débattues comme deux démons. Elle m'attrapait. Et moi, je tentais de m'échapper. Finalement, je lui arrachais un doigt et elle lâchait prise. Son doigt sanglant dans ma bouche. J'étais un chien fou, une ménade. Maintenant, j'ai seulement les mots en bouche. Même dans mes rêves, je discute. Je me dispute avec n'importe qui. Vomis une rivière de mots et me réveille toute sèche. Peut-être je laisse un ravin, un creux quelque part.
Parce que je sais que cette violence est là en moi, je me surveille bien. Souvent je me fais toute petite, trop petite, presque mignonne. Je ne porte plus une veste en cuir noir. Après un jour devant l'ordinateur, j'ai même pas de corps. Mais pas toi. Attention.
À suivre…
Letters from Exile: Excerpts from the notebooks of Fally Dogswell
A journal transformed into a meditation on memory, language, and foreignness itself.
15. Marriage, Rue des Martyrs
That seems so distant. I was someone else. You, too. Or not.
At St. Jean’s church in Montmartre, I watch a woman polish the enormous candlesticks, and other altar baubles. She’s fiftyish. Is concentrated on her task. I imagine she’s not paid but does it as a gesture of devotion. Of hope. Like me, I go to demos. I write bimonthly articles for a gay rag. Demand equality. Justice. Freedom. How stupid can you get.
At any rate, the church is clean, the stained glass nice. It’s really calm, even with the guitarist outside in the Place des Abbesses who wants to be Jimi Hendrix. But isn’t. It intrigues me, this church. Maybe because it’s relatively modern. We don’t build them anymore these days, except in the United States where mega-stupidities take their place among the enormous factories and produce just as much dough, and two times more hate. My sister who stayed in Kentucky goes to one that denounces the Gays, and doesn’t let women preach. The female mouth dirties the words. Leaves them polluted.
The Catholic church in France is no better. But their buildings are open at least. Often used for concerts and other city happenings. Here, at Place des Abbesses, the Church has lost the battle, and also the war. At least, I hope. During the day, anybody at all can enter. Today, I came to rest my feet. I admire the floor. It’s not of stone, but of wood laid down in a herringbone pattern. Then, I look at the center aisle where there’s sometimes a priest, sometimes a bride, and for the first time in my life I try to imagine myself there. Bad idea. I immediately feel sick, practically faint.
Invite people to do what? Stare at us? Offer their support? Presents? I love presents. We need a good toaster. And dressed in what? I don’t have anything. I don’t understand. Such an intimate thing. Marriage. Here? In front of everyone. Even a tortured Jesus? How weird. And yet, and yet. I should be able to imagine anything. I myself fought for the right. The act of imagining the ceremony shouldn’t be so violent.
Two girls in the aisle, one of them me—inconceivable.
Even if I saw a dyke wedding at City Hall in New York. The parents of one girl with tears in their eyes. The mostly feminist crowd striking ironic poses. Mandatory for the photos of this ultra heteronormative act by two activist lesbians. One brides was happy. The other practically nuts with joy. After all, she worked a lot in Nigeria. Had gay friends targeted, killed even as devils, traitors, foreigners. She’s attacked too. So, what happiness, what joy to be transformed into a human being, a citizen, with these simple sacraments of cake and champagne. I love you.
16. Thug Dyke
I have other things on my lips. Blood and flesh. Words. Now, a little speech about joy. The joy of evil. Of violence. Inspiring hate and fear. And not only in my mother. I tasted it that time I was a newborn lesbian activist with a leather jacket and shaved head. It was in 1994 at the corner of First and First in New York where the cars had nearly killed me a million times. That night I’d had enough. I stopped dead in the middle of the street, and banged on a hood of a car and screamed. The people inside were terrified. And I was so happy. Great!, I thought. They deserved it. How many times have they terrorized me, these big guys with or without a set of wheels. But not this time. This time it’s me the alpha wolf who bears her teeth and howls.
I gotta admit. It’s less and less hidden, our capacity for violence and hate. It takes root online. Then explodes in the streets. In the ultra-political landscape
That night, yeah, I learned that it’s way nicer to be the attacker than the attacked. I, too, have borders that you shouldn’t cross. What joy to see their gaping mouths, their wide-open eyes. What power. What a temptation. Imagine! To be done with persuasion, reason, supplication, words. The little lezzy demos where you’re supposed to soften anger with humor because we’re women and you have to say everything with a pretty smile. Yeah, to be done with all that. Have things immediately. To force. To terrorize. I’ve surely got the right after all I’ve lived through.
Yeah, it’s delicious. The taste of others’ fear. How humiliating to show it. To feel so satisfied. To take pleasure. Like you. My mother full of rage, of violence of her kind. She’d hit us with whatever was at hand, a wooden spoon, a fly swatter. But she preferred words as a weapon. Reducing you to nothing. She’d scream with fury and with hate. You’re dirty. You stink. You’re no good like your father.
For years, even in my nightmares, we fought like two demons. She’d grab me. And me, I’d try to escape. Finally, I’d bite off a finger and she’d let go. Her bloody finger in my mouth. I was a rabid dog, a maenad. Now, the only thing in my mouth are words. Even in my dreams, I discuss. I argue with everybody. Vomit a river of words and wake all dry. Maybe I leave a ravine, a gully somewhere.
Because I know that this violence is there in me, I watch myself carefully. Often I make myself small, too small, practically cute. I don’t wear a leather jacket anymore. After a day in front of the computer, I don’t even have a body. But not you. So be warned.
To be continued…
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À bientôt