Letters from Exile: Ch 22 & 23
On guardian crows and the impossibility of names at the Botanical Gardens, plus en route with the bloody or peaceful Saint Jacques.
Bilingual edition!
Helloooooo!
Here’s another installment of my little feuilleton, Letters from Exile. For English, scroll down.
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Lettres d'exil: Extraits des carnets de Fally Dogswell
Un journal intime devenu récit sur la mémoire, la langue, et l’étrangeté elle-même.
22. Jardin des plantes
Encore ici, parmi les allées, le sable, les plantes avec leurs étiquettes petites et émouvantes qui notent tous leurs noms connus en français et latin. Plus leur pays d'origine bien sûr. Comme des passeports. Je suis toujours impressionnée par cette manie française de tout savoir. De mettre de l'ordre partout (et puis le casser). Et comme toujours, après cinq minutes, je suis gênée. C'est une fête avec 10 milliards d'invités. À chacun son nom, et prénom. « Enchanté. » Merde. « Vous êtes qui ? J'ai déjà oublié. » Mieux vaut rester ailleurs où les plantes ne sont pas des individus. Et il y a juste une couleur verte indifférenciée, et elles sont des étrangères inconnues.
Il y a des corbeaux aussi ici dans les sentiers. Je n'aime pas ce nom corbeau en français non plus. Ils sont beaux, bien entendu, jusqu'au moment où ils ouvrent leurs becs, et font leurs couacs et croassements. Mais leurs mines sont effrayantes. T'as regardé droit dans les yeux ? Ils sont tellement sévères. Comme les gens de la préfecture. Ou les prêtres de l'Espagne. Ils se souviennent de tout. Faut pas être méchant avec eux. Je te préviens. Le discordant « crow » en anglais, leur convient mieux.
Je les aime quand même. Ils sautent. Ils courent avec leurs deux petites jambes. Ils se prennent au sérieux. Le con du coin ne va pas leur demander, « Pourquoi tu souris pas ? Fais-le, maintenant, pour moi. » Ils ne semblent pas reconnaissants des miettes non plus. Il est naturel de nourrir les affamés. Même les chics. Tout en noir, ils sont prêts à toute éventualité. Une fête. Des funérailles. Dieu sait ce qu'ils font tout seuls dans le jardin. Quand les portails ferment. Dorment-ils ? Jamais. Ils convoquent. Rendent verdict. Complotent. Je les salue. « Bonjour, Monsieur Crow. » Et « Madame, comment allez-vous ? » Ils écoutent. Ils parlent de temps en temps, les corbeaux. Et un jour ils vont me répondre. J’en suis sûre.
Nous arrivons finalement au petit jardin potager, et ma joie me surprend. Même sans étiquettes, je reconnais les plantes. Suis soulagée devant les tomates, oui, les courgettes, les poivrons. Fenouil. Maïs. Je sais tous les noms en français. Je m’enracine. Veux rester là. Avec mes amis. Où je suis reconnue. Mais nous partons.
23. Saint Jacques
Je pars toujours. Tout le temps, je suis en route. Pendant des années, j'ai voulu aller à Compostelle. Un pèlerinage avec un but au moins. Le soulagement d'épouser du mouvement, de l'accepter. Ne pas prétendre être chez soi. On marche, c'est tout. On marche, mange, dort. Et point. J'ai acheté des cartes routières. Des livres. Des bottes de randonnée que j'ai gardées. La stase je ne connais pas. Au niveau de la poussière, je suis certaine que mes particules perdues essayent souvent de se rassembler. Elles bougent. S'appellent. S'embrassent. Demandent le chapeau et le bâton, la coquille. C'est ça la nostalgie. C'est ça le deuil. Tu m'aimes?
À notre première étape ici, je suis allée le regarder, sur le sommet de sa tour. Il était dans ses fringues de pèlerin et à demi-couvert par l'échafaudage. Je lui rendais hommage. Je lui écrivais des poèmes. Imaginais sa vue. Les changements. Il y a longtemps, il avait toute une église à lui, Saint-Jacques-de-la-Boucherie, payée par les bouchers. Les entrailles pour l'autel. Les reins pour la porte. Comme des côtes, l'église a été vendue pierre par pierre après la révolution. Je suppose qu'ils sont un peu partout, maintenant. Le pauvre Saint Jacques. Il ne reste qu'une seule tour et sa statue exposée à toutes et à tous dans son long manteau démodé, et cet énorme chapeau.
Je demande s'il leur manque, les bouchères avec leurs blouses sanglantes. Ou sa vie d'auparavant en Espagne, sanglante aussi. Un pêcheur comme les Parisii, le fis de Zébédée était transformé en Santiago Matamoros, Jacques Matamore, saint patron des chrétiens face aux maures infidèles. Je suppose qu'il a guidé el Cid, Rodrigo Diaz de Vivar, autre héros espagnol, qui a été proscrit lui aussi après une carrière formidable, trop formidable, comme défendeur de la foi, et un roi quelconque. Il y a toujours un roi. Un prince. Sa femme, pendant ce temps, reléguée au couvent. Qu’est-ce qu’il pouvait faire d’autre que devenir soldat indépendant? Il a bossé pour un seigneur musulman. Puis, d'autres chrétiens. L'épée trouvera toujours du sang.
La femme s'appelait Chimène, et n’est pas restée dans le couvent, si ça t'intéresse.
Santiago, quant à lui, s'est adouci. Comme moi. A abandonné la lutte. Il préfère garder les gens en vie. Surtout les pèlerins. Si tu es en danger, menacé par les chiens sauvages, par exemple, ou les tempêtes. Voilà, il est là pour t'aider. Même si tu es agnostique. Ou maure. Si tu ne crois plus à rien. Il suffit d'être dans un long chemin. Ou dans un bateau de pierre. Des mouettes à tes côtés. Pitié, il conseille. La sympathie. Est-ce que j'ose ?
À suivre…
Letters from Exile: Excerpts from the notebooks of Fally Dogswell
A journal transformed into a meditation on memory, language, and foreignness itself.
22. Jardin des plantes (Botanical Garden)
Here, again, among the paths, the sand, the plants with their little touching labels that indicate all their known names in Latin and French. Their country of origin, too, of course. Like passports. I’m always impressed by this French mania of knowing everything. Of putting everything in order (and then breaking it). And like always, after five minutes, I’m annoyed. It’s a party with ten million guests. Each with their first and last name. “Pleased to meet you.” Shit. “Who are you? I’ve already forgotten.” Better to hang out elsewhere where the plants aren’t individuals. And there’s just this undifferentiated green, and they’re all unknown strangers.
There are crows here too on the paths. I don’t like the French name, “corbeau” either. They’re beaux (beautiful), of course, up until the moment they open their beaks and do their croaks and caws. But their faces are terrifying. Have you ever looked right in their eyes? They’re so stern. Like the people at Immigration. Or Spanish priests. They remember everything. Better not be mean to them. I warn you. The discordant “crow” in English suits them better.
I like them anyway. They hop. They run with their two little legs. They take themselves seriously. The fucker on the corner never asks them, “Why aren’t you smiling? Do it, now, for me.” They aren’t grateful for crumbs, either. It’s natural to feed the hungry. Even the chic. All in black, they’re ready for anything. A party. Funerals. God knows what they get up to all alone in the garden. When the gates close. Do they sleep? Never. They summon. Issue verdicts. Plot. I salute them. “Good morning, Mr. Crow.” And, “How are you, Madame?” They listen. They talk from time to time—crows. And one day they’ll answer me. I’m sure.
We finally get to the little kitchen garden, and my joy surprises me. Even without labels, I recognize the plants. Am comforted in front of the tomatoes, yes, and zucchini, peppers. Fennel. Corn. I know all the names in French. I put down roots. Want to stay there. With my friends. Where I’m recognized. But we leave.
23. Saint Jacques
I always leave. All the time I’m en route. For years, I wanted to go to Compostela. A pilgrimage with a goal at least. The comfort of wedding myself to movement, accepting it. Not pretending to be at home. You walk, that’s it. You walk, eat, sleep. Period. I bought maps. Books. Hiking boots that I still have. Stasis is unknown to me. At the level of dust, I’m sure that my lost particles often try to reunite. They move. Call to each other. Embrace. Demand the hat and the staff, the shell. That’s nostalgia. That’s grief. Do you love me?
Our first time here, I went to look at him, at the top of his tower. He was in his pilgrim’s getup, and was half-covered by scaffolding. I paid my respects. I wrote him poems. Imagined his view. The changes. A long time ago, he had a church all to himself, Saint-Jacques-de-la-Boucherie, that the butchers paid for. Entrails for an altar. Kidneys for the door. Like ribs, the church was sold stone by stone after the revolution. I imagine they’re scattered everywhere now. Poor Saint Jacques. All that’s left is one tower and his statue exposed to everyone at all with his long, outdated coat, and enormous hat.
I wonder if he misses them, the butchers with their bloody blouses. Or his life before in Spain—bloody, too. A fisherman like the Parisii, the son of Zebedee was transformed into Santiago Matamoros, John Moor-killer, patron saint of Christians faced with moorish infidels. I imagine he guided El Cid, Rodrigo Diaz de Vivar, another Spanish hero, who got banished too, after an impressive career, too impressive, as the defender of the faith and some king or other. There’s always a king. A prince. His wife, during all this, stuck in a convent. What else could he do but become a mercenary? He worked for a Muslim nobleman. Then more Christians. A sword always finds blood.
The wife was called Jimena, and didn’t stay in the convent, just for your information.
Santiago, as for him, mellowed after a while. Like me. Abandoned the fight. He preferred to keep people alive. Especially pilgrims. If you’re in danger, threatened by wild dogs, for example, or thunderstorms. Voilà, there he is to help. Even if you’re agnostic. Or moorish. Even if you don’t believe in anything. It’s enough to be on a long road. Or in a stone boat. With seagulls at your side. Pity, he counsels. Goodwill. Do I dare?
To be continued…
Stay tuned for your regular A Dyke A Broad newsletter on Monday, and another installment of Letters from Exile next Thursday.
À bientôt…