Letters from Exile: Ch 32 & 33
Back in Angers--some Spanish lessons. Me llama Queli Coatl. In which I learn things have many names, pseudonyms, and secret ones no one yet knows.
Bilingual edition!
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Helloooooo!
Here’s another installment of my little feuilleton, Letters from Exile based on some notebooks from 2016. For English, scroll down. If you’re enjoying this, think about sharing or subscribing.
Lettres d'exil: Extraits des carnets de Fally Dogswell
Un journal intime (de 2016) devenu récit sur la mémoire, la langue, et l’étrangeté elle-même.
1 & 2, 3 & 4, 5 & 6, 7 & 8, 9 & 10, 11 & 12, 13 & 14, 15 & 16, 17 & 18, 19 & 20, 21, 22 & 23, 24 & 25, 26, 27 & 28, 29, 30, 31.
32. Rue Parcheminerie, Angers
J'arrive. La porte s'ouvre et Marina me sourit. Elle est belle. Ses yeux sont extra verts et heureux à cause de moi. C’est incroyable. Que je puisse inspirer une chose pareille. Je deviens timide. Mais après un moment, moi aussi, je souris, suis tellement heureuse. J'avais oublié. Je ne suis pas toute seule au monde.
Elle me dit de me cacher pendant une minute dans la chambre.
-- C'était qui ? demande sa mère, Faustina.
-- Personne. Continuons. Elles font des exercices.
Au bout d’un moment, j’entre.
-- Surprise ! Je ne crie pas trop fort, par peur de lui donner une crise cardiaque.
Faustina rit. Prend du plaisir. Ensuite, elles travaillent quelques moments de plus. J'entends leurs voix. Elles parlent en espagnol. Cela fait vingt ans, plus, que je l'entends. Ma réponse Pavlovienne, ça change souvent. Entre nous, Marina et moi parlons anglais. Souvent, l'espagnol au téléphone est un signal de trouble imminent, de maladies, d’accidents, de mauvaises nouvelles. Mais parfois, pendant les vacances, les fêtes comme Noël avec sa famille, c'est un langage de communauté, quartier, appartenance. Il crée des liens mystérieux. Et cette fois-ci, après un mois de français j'aime bien l'entendre.
Je l'ai appris à l'école dès ma deuxième année. Oui, là-bas dans le Kentucky. C'était étonnant qu'une chaise puisse s'appeler aussi silla.
Je ne croyais pas que quelque part ailleurs, des gens le parlaient tout le temps. Non, c'était quelque chose de secret. Et ça, c'était fort utile. Quand j'ai commencé un journal intime je l'écrivais en espagnol. Ma mère qui fouillait dans toutes nos affaires comme un flic ou un prêtre à la recherche du péché n'avait aucun moyen de le lire. Dans une tentative désespérée de s’exprimer en sécurité, elle aussi, une de mes sœurs avait écrit en dessous des meubles, I hate my mother. Je hais ma mère.
Maman n'a trouvé cette phrase que récemment sur un coin caché du bureau. Elle pleurait, m'a demandé si c'était moi qui l'avais fait. Mais non. Je n'avais pas besoin. J'ai eu cette langue étrangère. Je lui confiais des poèmes. Des prières et des désirs suicidaires, ou meurtriers. Absentes ? Les idées, des désirs tellement impensables que je n’en avais même pas conscience.
33. Des cahiers
La pauvre fille avec ses cahiers en espagnol cassé et rudimentaire. Je dois avoir de la peine pour elle, mais je fais la même chose, n’est-ce pas? Ou presque. D'ailleurs, elle a appris des trucs importants. C'est déjà une grosse affaire de piger que les choses ont plusieurs noms. Des pseudonymes. Et noms secrets pas encore connus. Même moi, j'en avais d'autres. Un professeur d'espagnol m'appelait Queli. J'aimais bien l'air aztèque. Me llama Queli coatl. Ici en France, on m'appelle de tout. Caler Bogswell. Fally Gogswell. Les noms, les gens, le genre sont si variables.
Dans le Kentucky, j'ai connu une fille et son frère du Guatemala. Nous parlions espagnol entre nous. Elle avait ses cheveux longs et noirs et beaux, était dans mon équipe de hockey sur gazon. Le garçon m'aimait bien. Mais moi, sa sœur. Nous étions tous plus heureux en espagnol, différents. En fait, una silla n'est pas une chaise. Quand je parle en français je peux être mignonne comme tout, ou étrangement autoritaire. La langue évoque ce qu'elle veut. Une fois, toute leur famille est venue chez moi. J'avais une tumeur à la jambe. Rien de grave, mais une opération était prévue. Ils priaient en espagnol, et étalaient une huile glissante sur ma jambe. Rien ne se produisait, ou ne disparaissait. Mes amis étaient mortifiés. Après, nous n'avons pas mentionné quoique-ce soit à son sujet. Ni en anglais ni en espagnol.
Quand je suis arrivée à New York en 1989, j'ai découvert que tout le monde parlait espagnol. Au moins, 1,87 million de personnes, un bon quart de la ville. C'était fort utile dans les quartiers hispaniques et bon marché où j'habitais, mais la langue n’avait plus de magie. Peu importe. Je n'avais plus besoin de cacher des cahiers, des sentiments. J'y ai fait mon coming out. Je pouvais parler directement. Dire, oui. Dire, non. Je pouvais offrir ma poitrine. Le cœur. Les poèmes à toutes et à tous comme tout le monde. Malheureusement, même au prix le plus bas c'était difficile de s'en débarrasser. Il y avait déjà un excès au marché.
Maintenant, j'ai une autre langue. Autre cahier. J'écris tu. J'écris toi. Je t'imagine. Je te poursuis. Ceci n'est pas un jeu.
À suivre…
Letters from Exile: Excerpts from the notebooks of Fally Dogswell
A journal (from 2016) transformed into a meditation on memory, language, and foreignness itself.
1 & 2, 3 & 4, 5 & 6, 7 & 8, 9 & 10, 11 & 12, 13 & 14, 15 & 16, 17 & 18, 19 & 20, 21, 22 & 23, 24 & 25, 26, 27 & 28, 29, 30, 31.
32. Rue Parcheminerie, Angers
I arrive. The door opens and Marina smiles at me. She is beautiful. Her eyes are extra green and happy because of me. It’s incredible. That I can inspire such a thing. I feel shy. But after a moment, I smile, too, am so happy. I’d forgotten. I’m not all alone in the world.
She tells me to hide a minute in the bedroom.
“Who’s that?” asks her mother, Faustina.
“Nobody. Let’s continue.” They were exercising.
After a moment, I enter.
“Surprise!” I don’t shout too loud. I’m afraid of giving her a heart attack.
Faustina laughs. Is pleased. They keep working for a few more minutes. I hear their voices. They are speaking Spanish. I’ve heard it for twenty years, more, really. My Pavlovian response changes frequently. Marina and I speak English together. Often, Spanish on the telephone is a sign of imminent trouble, illnesses, accidents, bad news. But sometimes, during vacations, holidays like Christmas with her family, it’s the language of community, neighborhood, belonging. It creates mysterious ties. And this time, after a month of French, I’m happy to hear it.
I learned it in school, beginning in the second grade. Yes, there in Kentucky. It was astonishing that a chair could also be called, silla.
I didn’t really believe that somewhere, people spoke it all the time. No, it was some secret thing. And that was really handy. When I started keeping a diary I wrote it in Spanish. My mother who rummaged through all our stuff like a cop or a priest looking for sin didn’t have any way to read it. In a desperate attempt to express herself safely, one of my sisters actually wrote on the underside of furniture, I hate my mother.
Mom didn’t find that phrase until recently under a hidden corner of her desk. She wept, asked me if I’d done it. But no. I didn’t need to. I had this foreign language. I confided my poems to it. Prayers. Desires—both suicidal and murderous. Missing? The ideas, the desires so unthinkable they didn’t even cross my mind.
33. Notebooks
Poor girl with her notebooks in broken, basic Spanish. I should feel sorry for her, but I’m doing the same thing, right? Or almost. Besides, she learned some important things. It’s already a big deal to figure out that things have many names. Pseudonyms. And secret names still unknown. Even me, I have others. A Spanish teacher called me Queli. I really liked the Aztec flavor. Me llama Queli Coatl. Here in France, they call me a range of things. Caler Bogswell. Fally Gogswell. Names, people, gender are so changeable.
Back in Kentucky, I knew this one girl and her brother from Guatemala. We spoke Spanish together. She had this long, dark, beautiful hair, was on my field hockey team. Her brother liked me. But I liked his sister. We were all happier in Spanish, set apart. In fact, una silla is not a chair. When I speak French, I can be cute as anything, or oddly authoritarian. The language evokes whatever it will. Once, their whole family came over to my house. I had a tumor on my leg. Nothing serious, but there was an operation scheduled. They prayed in Spanish and anointed my leg with a glistening oil. Nothing happened, or disappeared. My friends were mortified. Afterwards, we never referred to it again. Either in English or Spanish.
When I got to New York in 1989, I found out that everybody spoke Spanish. At least 1.87 million people, practically a third of the town. It was really useful in the cheap, Spanish neighborhoods where I lived, but the language wasn’t magical anymore. Doesn’t matter. I didn’t need to hide notebooks or feelings, or feelings. I came out. I could speak directly. Say yes. Say no. I could offer my chest. My heart. Poems to everyone like everybody. Sadly, even at a cut-rate price it was hard to unload them. There was already a glut on the market.
Now, I have another language. Another notebook. I write, tu, you. I write toi. I imagine you. I pursue you. This is not a game.
To be continued…
Stay tuned for your regular A Dyke A Broad newsletter on Monday, and another installment of Letters from Exile next Thursday.
À bientôt…